8 mai 2020 : Lettre du Maître de l’Ordre
O Spem Miram ! O Merveilleuse Espérance !
Chers frères et sœurs,
O Spem Miram ! O Merveilleuse Espérance ! C’est notre hymne à saint Dominique, le père et le premier frère de notre Ordre. Les images habituelles qui évoquent l’espérance sont celles d’un nouveau-né, d’une aube radieuse, de fleurs et fruits du printemps, des représentations d’une nouvelle vie et d’un nouveau départ. En cette période de pandémie mondiale, l’image qui susciterait certainement l’espérance serait peut-être celle d’un vaccin approuvé pour la COVID-19 ! Ainsi, pour certains il pourrait sembler étrange que notre chant d’espérance commémore le moment où Dominique a quitté ce monde, un moment où les frères ont les larmes aux yeux au lieu d’un sourire aux lèvres - O spem miram quam dedisti mortis hora te flentibus. Dominique a suscité l’espérance dans leur cœur car il a promis de continuer à aider les frères et sœurs, il a fait le vœu d’intercéder pour nous et, par conséquent, de rester avec nous dans ses prières. Mais ce n’est là qu’un aspect de l’histoire. La présence des frères priant à l’heure de sa mort a aussi dû donner de l’espoir à Dominique. À cet ultime moment de la finitude humaine, Dominique n’était pas seul. La présence des frères et la présence promise de Dominique au-delà de la mort leur ont donné espoir et consolation. « La parole latine con-solatio, consolation, l’exprime de manière très belle, suggérant un “être-avec” dans la solitude, qui alors n’est plus solitude ». (Spe Salvi, 38).
La quarantaine et le confinement que nous avons connus ou que nous continuons de connaître à des moments différents et selon des modalités variées ont menacé de nous conduire au désespoir et à l’isolement. Ils semblaient contredire notre vocation pastorale d’être avec le peuple. Mais nous avons observé ces mesures pour de solides raisons scientifiques et éthiques. Pourtant, même avec ces restrictions, je suis heureux d’entendre parler des moyens créatifs par lesquels nous avons essayé « d’être ensemble » et « avec notre peuple ». Certes, rien ne remplace la présence personnelle, mais nous avons trouvé d’autres moyens d’être présents aux autres. En ce qui nous concerne, à la curie généralice, nous avons pu rencontrer les provinciaux de toutes les régions, les régents des études et certaines commissions sans avoir à passer par la sécurité de l’aéroport ! Nos professeurs et nos étudiants ont terminé l’année universitaire par des moyens virtuels. Pour beaucoup de nos établissements d’enseignement, le prochain semestre verra la mise en place d’un système d’apprentissage mixte, c’est-à-dire la combinaison de la présence personnelle et virtuelle aux cours. J’ai vu une photo de frères dans un couvent sur un campus universitaire qui faisaient de leur mieux pour améliorer leurs compétences avec le système de gestion de l’apprentissage Blackboard. Les efforts héroïques de ces professeurs (dont certains ne sont pas si jeunes) afin de devenir des « migrants numériques » compétents pour le bien de leurs étudiants sont un signe d’espoir !
Il y a des frères qui ont bravé le danger de la contamination en s’occupant des malades, tout en observant les précautions nécessaires afin de prévenir la transmission du virus au sein de leur communauté. Nos frères de Sainte Marie Majeure, ici à Rome, ont continué, en tant que collège de pénitenciers, à célébrer le sacrement de la réconciliation même pendant la première phase du confinement. Frère Chris Gault, médecin avant son entrée dans l’Ordre, a reçu l’autorisation de son supérieur de retourner temporairement à la pratique médicale pour prêter main forte aux médecins fatigués qui traitent les patients atteints de COVID-19. Certains frères et sœurs ont offert des mots d’encouragement et d’espoir par le biais de conseils téléphoniques. J’étais en conversation téléphonique avec le frère Bruno Cadoré le jour de son anniversaire, le 14 avril dernier, lorsqu’il m’a gentiment dit que nous devions mettre fin à notre conversation car, en tant que conseiller bénévole, il allait bientôt recevoir des appels redirigés par une ligne d’assistance téléphonique en France. La plupart des frères et sœurs ont prêché et prié avec les gens par le biais de diverses initiatives numériques. En effet, les moments de crise peuvent devenir des occasions de grâce et des moments de créativité. C’est à l’époque de la peste italienne (1629-1631) que le frère Timoteo Ricci (†1643) a créé la Bussola del ora perpetua del Rosario au couvent des dominicains de Bologne en 1629 . La dévotion du rosaire perpétuel est née en pleine peste. Je vous remercie tous de vous être joints à nous pour le Rosaire international de la famille dominicaine le 29 avril 2020, organisé par le frère Lawrence Lew, Promoteur Général du Rosaire.
Nos frères du monde entier ont publié des réflexions théologiques et bibliques sur les différentes facettes de la pandémie, des guides liturgiques pour la célébration du Triduum pascal à la maison, des lignes directrices pour une célébration sûre et digne des sacrements, etc. Rappelons-nous aussi de ce que le frère Timothy Radcliffe a écrit dans La Source vive de l’Espérance : « Étudier est en soi un acte d’espérance, puisque cela exprime notre confiance qu’il y a un sens à nos vies et aux souffrances de nos peuples. Et ce sens vient comme un don, une parole d’espérance, promesse de vie ». La mission intellectuelle de l’Ordre et sa mission de prêcher la Veritas est un antidote important à une autre pandémie pernicieuse – les fausses nouvelles et demi-vérités qui sont en fait des demi-mensonges. Vous, chers frères et sœurs, êtes un signe d’espérance pour l’Église et la famille humaine alors que vous vous efforcez de nourrir les « faims » intensifiées par la pandémie : faim de l’Eucharistie (et des sacrements), faim de solidarité et de compassion, faim de nourriture et de boisson. Il y a des membres de la Famille dominicaine qui ont collecté des fonds pour les besoins des malades et ceux qui prennent soin des malades. Nos frères et sœurs dans de nombreux pays, comme le Brésil notamment, luttent pour soulager les souffrances causées par la pandémie, pour discerner les maux sociaux qui exacerbent la propagation de la contagion.
Nous avons perdu des frères et des sœurs dans cette pandémie. En temps « normal », nous nous rassemblons autour du lit d’un membre mourant. Un jeune frère nous a confié qu’il était triste et choqué de ne pas pouvoir dire au revoir à un frère sur le point de mourir à l’hôpital. Nos cœurs sont déchirés à la pensée que, pouvant jadis être présents aux mourants et à leurs proches, nous sommes maintenant incapables de faire de même pour un frère et une sœur en raison des restrictions médicales. Pourtant, nous demeurons dans l’espérance. L’espérance est fondée sur la certitude que Dieu ne nous abandonnera jamais. Elle est l’assurance que Dieu demeure dans les « mystères de joie, de tristesse, de gloire et de lumière » de notre vie. Un prêtre a dit à la famille en deuil d’un adolescent qui a été assassiné : « Si vous voulez savoir où est Dieu quand des choses aussi tragiques nous arrivent, je ne peux que dire qu’Il est là, pleurant, souffrant et mourant avec vous ». Le pape François nous le rappelle : « L’espérance n’expire pas, car elle est fondée sur la fidélité de Dieu ». L’espérance, c’est le Christ en nous (cf. Col. 1, 27).
O Spem Miram ! Dominique a promis avec audace de nous être utile parce qu’il avait la grande espérance d’être plus proche du Christ, dans la communion des bienheureux. Nous célébrerons l’année prochaine le 800ème anniversaire de cette promesse.
Les difficultés que nous rencontrons actuellement nous ont incités à revoir le planning que nous avions envoyé en janvier 2020 et nous espérons pouvoir envoyer un nouveau planning révisé ultérieurement.
Votre frère
fr. Gerard Francisco Timoner III, OP
Maître général de l’Ordre
2020.08.08_st_dominic_master_of_the_order.pdf (3.3 Mo)
11 août 2020