Au nom de la terre de Edouard Bergeon (2019)
Chronique de Sr Hélène Feisthammel
Sous un ciel gris accablant, un homme hagard titube et trébuche sur les sillons d’un champ craquelé comme en temps de guerre. Flash-back : quand Pierre, 25 ans, rentre du Wyoming pour retrouver sa future épouse dans la campagne française, il est beau comme un « cow-boy ». L’avenir lui appartient, et une lumière éclatante rayonne à perte de vue sur les terres de l’exploitation familiale que son père lui cède. À la table de la ferme, en signant les papiers du prêt qu’il a dû contracter pour prendre la suite, il sait qu’il s’engage pour une vie entière de labeur, mais le jeune homme a la foi, et nous sommes dans ces années 1970 où un paysan pouvait encore rêver. Vingt ans plus tard, même s’il n’a cessé de se tuer à la tâche, l’étau s’est resserré et le surendettement le pousse à investir encore. Il y arrivera. Il faut qu’il y arrive. Question de vie ou de mort.
C’est l’histoire d’un homme qui sombre inexorablement et que rien, même pas l’amour et le soutien des siens, ne pourra sauver : une véritable saga familiale qui, de maigres espoirs en moments de profond découragement, illustre le dra-me du monde agricole de ces quarante dernières années. Cette remarquable authenticité vient, bien sûr, du fait qu’Édouard Bergeon, 36 ans, raconte l’histoire de son propre père, mort en 1999. Mais, pour son premier long-métrage de fic-tion, ce réalisateur de nombreux documentaires et reportages sur le sujet sait exploiter toutes les ressources du cinéma.
Comme dans les westerns, l’image en Scope célèbre la splendeur des champs et de la nature nourricière. Les hommes, suivis par d’amples travellings, circulent à cheval, à moto, à vélo ou sur des tracteurs qu’Édouard Bergeon filme comme des Mustang ou des Cadillac. Un plan, en particulier, émeut : dans un mouvement de fuite, Pierre galope sur sa monture, et son épouse le voit disparaître petit à petit, comme avalé par la terre. Face à Veerle Baetens (Alabama Monroe) et à l’épatant Anthony Bajon (prix d’interprétation pour ce film au dernier festival d’Angoulême), Guillaume Canet impressionne, acharné puis douloureux, tout entier engagé dans cette ode à la résistance des gens de la terre.
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