Cinéma : « Grâce à Dieu » de François Ozon
Sortie en salles / 20 février 2019
Grand Prix du Jury / 69ème Berlinale 2019
Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour « libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi. Mais les répercussions et conséquences de ces aveux ne laisseront personne indemne.
A la fois cinéaste et scénariste, François Ozon clame haut et fort ne pas vouloir livrer avec « Grâce à Dieu » un film à charge contre l’Eglise. L’idée reste sur le papier terre-à-terre en cela que les ambitions primaires du film sont de dresser des portraits d’hommes meurtris, victimes de la pédophilie. Mais dès l’introduction, on sent qu’Ozon, scénariste, et Ozon, cinéaste, se mènent un combat qui les oppose farouchement. Le plan d’ouverture du long métrage est particulièrement symptomatique de ce conflit d’ambitions : un homme d’Eglise avance lentement, de dos, vers la métropole. La caméra le suit en travelling alors que, dans une « pose messianique », l’ecclésiastique semble dominer la ville qui s’étend à perte de vue, en toute impunité.
Structurée par quelques cadres iconiques, la porte d’entrée du nouvel Ozon semble détachée du reste de la réalisation parce qu’elle permet, consciemment ou inconsciemment, de faire valoir sa fonction cinématographique à une audience qui n’est pas dupe. Car si le public va devoir regarder les trois personnages principaux droit dans les yeux durant les 2 heures 17 de projection, ce n’est absolument pas le cas de l’homme de Dieu qui lance le récit lorsqu’ apparaît sobrement le titre « Grâce à Dieu » à l’écran.
La construction qui fait suite à cette « posture christique » va finalement aborder le sujet de l’œuvre de façon plus traditionnelle, mais avec beaucoup de subtilité. En choisissant d’alterner les points de vue des trois personnages principaux (excellents Poupaud, Ménochet et Arlaud), aux horizons sociaux et culturels complètement différents, le cinéaste se permet quelques digressions sociétales, inscrivant son étude dans une instantanéité que peu de ses confrères français réussissent à accomplir avec autant de talent.
Ozon soulève moult questions, mais demeure bien incapable de livrer toutes les réponses attendues. C’est la grande force, mais aussi l’une des rares faiblesses du film, lorsque celui-ci pèche par excès de didactisme. On peut effectivement se questionner quant à la pertinence de certaines lettres lues dans leur intégralité en voix off. Mais reprocher au réalisateur cette façon de faire reviendrait à passer sous silence la capacité de son cinéma à orchestrer des images qui viennent désavouer les discours (une fois de plus, la scène d’introduction).
L’éclatante réussite du film, celle qui coïncide avec l’ambition d’objectivité absolue dans le traitement des enjeux, découle de l’admirable gestion des points de vue. Lors des scènes d’échanges entre les victimes et leur prédateur, principalement de simples champs-contre champs, le prédateur en question (qui ne niera à aucun moment les charges retenues) est montré comme un homme démuni face à ses agissements. il se présente comme étant « malade ». On bascule dès lors dans une nouvelle mise en scène, qui s’éloigne des figures symboliques religieuses des premières secondes pour se river scrupuleusement à une étude conduite à hauteur d’homme.
Conscient de la valeur journalistique de son scénario, Ozon n’a d’autre choix que de viser le réalisme et il n’y a rien à spoiler en affirmant qu’on quittera le film par une porte de sortie bien différente de celle par laquelle on est entré. Afin que l’on puisse croire à cette honte chevillée aux corps des individus blessés, mais surtout leur incertitude globale quant à l’avenir, le metteur en scène bâtit un dernier acte grandiose où les questions dramatiques restent forcément « dans l’air ». Pour que tout ce à quoi on assiste paraisse si vrai, si palpable, il est indispensable que les comédiens habitent pleinement leurs personnages, ce qu’ils font indéniablement. Mais il ne faut surtout pas oublier que si le long métrage est aussi intense, poignant et humble dans les limites imposées par sa propre nature, c’est que François Ozon est devenu l’un des meilleurs directeurs d’acteurs français en activité. « Grâce à Dieu », l’un des plus grands films de son auteur !
Attention !
A l’heure où j’écris cette chronique, une question se pose : « Grâce à Dieu », le prochain film de François Ozon, sera-t-il reporté à la fin de l’année 2019, voire au début 2020 ? C’est en tous cas ce que réclame l’un des avocats du Père Preynat, mis en examen en janvier 2016 et placé sous contrôle judiciaire pour des agressions sexuelles commises avant 1991 sur de jeunes scouts de la région lyonnaise. Les avocats du prêtre accusent le film de porter atteinte à la présomption d’innocence. Et réclament son report. Lundi 18 février, la justice autorise la sortie en salles de « Grâce à Dieu » mercredi 20 février 2019. Décision confirmée en dernier appel par le tribunal de Lyon mardi 19 février.
Sr Hélène Feisthammel