France : Le sankofa est passé à Lille…
Regards sur trente ans d’engagement au service de « l’autre »
2016 : Année de la Miséricorde et Année du Jubilé de l’Ordre…
La CRSD a de nombreuses raisons de rendre grâce en regardant le chemin parcouru depuis le début des années 1980 autour de deux activités nées dans la communauté de Lille, et transmises maintenant à des laïcs : LA CLE d’une part et d’autre part, le service de repas et de vestiaire de seconde main, les deux continuant à se côtoyer jusqu’à ce jour.
Insérée à Lille, au carrefour de plusieurs quartiers de styles et de moyens sociaux et économiques différents, la communauté dominicaine de la Rue Jean Sans Peur, comptait à ce moment-là, selon les années, entre 6 et 10 sœurs, toutes en activité professionnelle ou en formation initiale à la vie dominicaine.
Comment cela a-t-il commencé ?
Des sandwiches aux repas…
Cela a commencé, comme souvent, de manière discrète. Nous recevions de temps en temps un coup de sonnette : « J’ai faim… pourriez-vous me donner quelque chose à manger ? » Et la sœur présente à la maison préparait un sandwich, puis deux, puis trois …
Un peu plus tard, les demandes se faisant de plus en plus nombreuses et à toute heure du jour, nous avons décidé d’organiser le service d’aide d’urgence en fixant deux jours de distribution. L’affiche sur la porte a attiré le regard du responsable d’un restaurant d’entreprise tout proche. Il se lamentait de devoir jeter de la nourriture. Alors, il nous a proposé les surplus les lundis et jeudis. Aubaine et charge nouvelle : recueillir, reconditionner, distribuer… !
Plusieurs communautés de la province ont participé de manière indirecte à ce service, soit par un don pour l’achat de denrées alimentaires, soit en recueillant des boîtes pour la distribution bihebdomadaire.
LA CLE
Sensiblement à la même époque, ou peu après, Sr Ancilla Lidoine , jeune retraitée, commençait une nouvelle activité compatible avec la préparation d’une licence de théologie à la Catho de Lille : l’accompagnement d’enfants en difficultés scolaires par une prise en charge individuelle. Très rapidement, les demandes se sont fait connaître. Les heures de cours de théologie ne correspondant pas forcément aux heures scolaires, les autres sœurs de la communauté se sont mobilisées pour la prise en charge des enfants, puis de mamans, puis d’autres adultes. Il s’agissait de Srs Caroline Runacher, Anne Thom Brunet, Liliane Peutot, Marie Raphaël Jannic, Marie Joseph Sentis, Etienne Marie Sirey, Anne Marie Geffroy…
Même si toutes les bonnes volontés et capacités communautaires étaient mobilisées, elles n’ont pas suffi à répondre à la demande croissante qui, de plus, se diversifiait. Telle une maman accompagnant sa fille qui dit : « moi aussi, je voudrais des leçons de « grammaire ». (Elle prononce « grand’mère »). Sr Ancilla l’accueille donc et découvre que c’est l’histoire qui l’intéresse, pour suivre ce que disent ses enfants au retour de l ‘école, mais qu’elle n’arrive pas à organiser, faute de points de repères basiques. Au bout de l’année passée à découvrir les rudiments de l’histoire de France, elle annonce avec vigueur « maintenant, je sais pourquoi je dois aller voter quand il y a des élections ! ».
Une autre mère de famille accompagne ses deux filles et les attend pendant la leçon, puis s’informe de leurs progrès. Quand elles ont une bonne note à l’école, elle se précipite la fois suivante pour remercier. Elle veut que ses filles réussissent à l’école pour avoir un meilleur avenir que le sien.
Le « bouche à oreille » fonctionne très bien et les demandes ne cessent d’augmenter.
Élargir l’espace de la tente…
Les locaux de la communauté n’étant pas extensibles, il nous a fallu chercher des locaux complémentaires. Et, par chance, la maison mitoyenne s’est trouvée vacante.
La pièce d’entrée, pleine de charme nous a séduites au premier coup d’œil, mais des travaux importants étaient à prévoir dans le reste de la maison ainsi que la création d’une association pour pouvoir la louer.
Avec l’accord de la prieure provinciale de l’époque, Sr Marie Hyacinthe Cussac et de son conseil, un apport financier considérable de la province, et l’aide technique et efficace de Sr Marie Paule Pellerin, l’association est née en 1985 sous le sigle LA CLE (Lille-Association-Compter-Lire-Ecrire). La Clé , un sigle. C’est aussi tout un symbole du projet de l’association : donner la clé d’un avenir meilleur à des personnes qui n’en avaient pas les moyens ou les capacités tout seuls.
Le gros œuvre a été pris en charge par une entreprise, tandis que toutes les sœurs de la communauté mettaient aussi la main à la pâte : qui avec le décapeur thermique pour retirer les innombrables couches de peinture des boiseries, qui avec les pinceaux pour peindre par-ci, qui pour préparer la décoration par-là : une vraie ruche communautaire ! Et l’aventure a pris forme.
Arrivée des bénévoles
Devant l’afflux des demandes, nous avons fait appel à des bénévoles qualifiés, parmi nos relations, dans les paroisses proches, les facultés et grandes écoles, présentes en nombre à Lille. Dans le même temps, nous avons découvert la nécessité d’accompagner les formateurs, de les soutenir, de leur fournir du matériel pédagogique… !
L’association a fonctionné sur le bénévolat presque intégral de 1985 à 1998, avec seulement quelques heures payées pour le ménage, puis un mi-temps de secrétariat. Elle est passée de la prise en charge de 8 apprenants à la création de l’association à plus de 200, accompagnés par une centaine de bénévoles, sous la houlette permanente de deux sœurs présentes à temps plein et plus que plein : Sr Ancilla et Sr Marie Jo. Au cours de ces années, toutes les deux ont affiné avec beaucoup de rigueur pédagogique et de savoir-faire, ce qui a donné lieu à l’organisation progressive de trois dispositifs :
1- accompagnement de la scolarité d’enfants et de jeunes du début du primaire, au baccalauréat,
2- lutte contre l’illettrisme pour des adultes français ou francophones,
3- apprentissage du français langue étrangère pour les immigrés (primo-arrivants ou non).
Le nombre de salles disponibles a aussi augmenté au cours de ces années, grâce aux capacités d’organisation de l’espace des sœurs animatrices et à l’appui de sponsors.
Passage à un autre rythme
En 1999, une nouvelle phase a commencé. Ce fut l’embauche de trois salariées à temps plein, deux jeunes femmes en contrat « emploi-jeune » comme formatrices-coordinatrices et Sr Anne Marie Geffroy pour la direction de l’association, jusqu’en 2003. Depuis, l’une des jeunes femmes, embauchée en 1999, a pris en charge la direction et conduit brillamment l’association qui accueille cette année 2015-2016. Plus de 600 apprenants sont aujourd’hui pris en charge par quelques 550 formateurs bénévoles. L’associationa encore diversifié ses activités.
En guise de conclusion :
« Quand on rêve tout seul, ce n’est encore qu’un rêve. Quand on rêve ensemble, c’est déjà la réalité », disait Don Helder Camara.
Nous avons expérimenté la véracité de ce propos, sans nous douter au départ de cette aventure, qu’elle prendrait une telle ampleur et ouvrirait tant de portes, apparemment fermées à double tour.
Ces deux formes d’engagement concret rejoignent ce que disent nos Constitutions au n° 4 : « Toute notre activité apostolique doit être envisagée dans une certaine lumière, selon une intention spécifique de vérité et de miséricorde. Suscitant la liberté et s’adressant à elle, y introduisant les exigences de paix et de justice, elle ne dissocie pas l’évangélisation de l’humanisation, fût-elle la plus humble. Nous vivons ainsi, à notre manière, le propos de Saint Dominique »
Aussi bien à LA CLE qu’au service des repas ou des vêtements, les personnes disent « ici on est reconnu ! » : base de l’humanisation !
Sr Anne Marie Geffroy
Extrait d’un article de La Croix du Nord du 15 octobre 2015
« MARIE-CLAUDE a posé ses sacs sur le trottoir et s’est assise sur le banc placé contre le mur. À côté d’elle, une dizaine de personnes se presse, sans se bousculer, devant l’entrée étroite d’un garage de 15 m2. À l’intérieur, pas de voitures, mais une gazinière très sollicitée, des rayonnages bien remplis, un grand frigo, et 5 femmes qui s’activent, un peu à l’étroit. Nous sommes à l’accueil repas des dominicaines de Lille. Les personnes tendent leur carte estampillée « Fraternité dominicaine ». Elles reçoivent chacune un sachet, avec un repas chaud ou froid. La distribution a lieu deux matinées par semaine, de 8 h 30 à 11 h 30 le mardi et le vendredi. On tend un sachet et un gobelet de soupe à Marie-Claude. Elle mange ce qui est chaud, et met le reste dans ses sacs. C’est une habituée du rendez-vous, elle est là à chaque distribution, deux fois par semaine. Elle discute avec d’autres habitués, comme Georges et Abdallah. Puis, elle file à son cours d’informatique à l’accueil Ozanam. Georges aime rester là à parler avec les uns les autres. Membre de France bénévolat, il est aussi bénéficiaire du repas des dominicaines depuis 2006. Il apprécie de vivre là « une amitié avec les gens ». Pour lui, « les soeurs sont sur la première marche, car elles nous rendent le coeur gai. On discute ensemble, je leur donne un coup de main. Ici, on est reconnu… »
« Ici, on est reconnu”
Jusque 11 h 30, la distribution s’organise. Il en faut, de l’organisation, pour préparer plus de 200 sachets repas sur la matinée. « Sur une matinée, nous préparons environ 30 repas chauds pour les personnes sans domicile fixe, et 170 colis avec des légumes, des boîtes de conserve, de la viande et un dessert, pour ceux qui ont un logement mais qui ont du mal à finir le mois », explique soeur Marie-Jo. « Et dire qu’au départ il y a 30 ans, quand on avait préparé 20 repas, on trouvait que c’était beaucoup ! », sourit-elle. Si cette distribution a été lancée en 1985, « c’est que les SDF venaient sonner jour et nuit à notre porte. On en a eu assez et on a voulu faire quelque chose… » À l’époque, nous étions 10 religieuses ». Aujourd’hui, elles sont encore trois à vivre sur place et à assurer ce service ; elles ont entre 86 et 89 ans. Leur garage de 15 m2 n’abrite plus depuis longtemps leur voiture. Il sert de cuisine et d’entrepôt des denrées récupérées à la Banque Alimentaire. Christine gère la gazinière. Elle cuit la viande, le riz, les légumes, et tient au chaud au four quelques plats. « Je cuis au fur et à mesure, pour qu’il n’y ait pas de gaspillage. Et on y arrive toujours ! », confie celle qui aide les sœurs depuis près de 25 ans. Édith, Monique et Cécile préparent les sachets repas froids. « C’est un peu une famille ici », précise Monique, présente depuis 20 ans aux côtés des dominicaines. Pendant ce temps, d’autres s’affairent aussi. Geneviève s’occupe du vestiaire, situé dans un local à quelques mètres du garage. Quant à sœur Marie , elle a installé au soleil une petite table, où se trouvent des « cadeaux » : bibelots, petits objets, tapis de bain, savons, bougies… sont proposés gracieusement aux bénéficiaires des repas. Sœur Marie gère d’une main de fer afin qu’il n’y ait pas d’abus. « Nous faisons cette opération cadeaux deux fois par an. Cela fait 8 ans que je suis à Lille. Cette distribution de repas est étonnante, car le plus souvent, elle se fait dans le calme et une bonne ambiance. On discute avec les gens, ils nous confient leurs problèmes. Parfois, on les oriente vers l’Abej, car on ne peut pas tout régler… ». En septembre, les religieuses lâchent les commandes et les confient à une association, Espace Fraternité. Une page se tourne. Mais l’important, c’est que cette solidarité continue.
A. S HOUDEAUX
Le Sankofa {{}} est un oiseau qui se retourne pour attraper son œuf perdu. Il évoque l’importance d’apprendre du passé en empruntant les voies de la connaissance. Il est aussi symbole de sagesse et de conversion Il se rapporte aussi au proverbe ashanti qui dit : « regarde ton passé et tu y verras ton futur.