Jubilé 2025 : Regard anthropologique et christologique sur l’indulgence
Dans le cadre de l’année jubilaire 2025, comme c’est souvent le cas lors d’une Année sainte, des indulgences plénières sont accordées. Explications
Une bénédiction papale, un Jubilé sont des occasions de recevoir l’indulgence…une notion chargée d’histoire a priori peu attractive ; pourtant les indulgences, avant de devenir un commerce, ont été « inventées » pour une pastorale de miséricorde afin de remédier au cumul parfois exorbitant des peines infligées par « la confession tarifée » au Moyen-Age. Cependant au 21ème siècle, pour actualiser avec justesse ce don (employé au singulier par Jean-Paul II et non pas au pluriel, « les indulgences ») il me semble plus pertinent de regarder l’indulgence singulière incarnée par le Christ, plutôt que l’histoire.
Qu’est-ce que l’indulgence dans les relations humaines ?
L’indulgence suppose d’être compréhensif par rapport à l’auteur du mal dont on est témoin, victime ou juge. C’est une attitude de l’esprit, une patience et douceur de l’esprit, qui consiste à présumer qu’il y a peut-être des raisons recevables dans l’action de l’autre (le contraire de faire un procès d’intention), ou à accorder des circonstances atténuantes, ou à excuser. Elle n’oblige pas à se taire ; la parole peut éclairer la compréhension alors que le silence peut enfermer dans une fausse interprétation. Mais l’indulgence n’attend pas que l’auteur soit conscient de sa faute et/ou de la gravité de sa faute.
Chacun peut trouver des exemples concrets d’indulgence dans les domaines de l’éducation, de la justice, de la relation amoureuse ou d’amitié. Devant une faute, un préjudice, une offense, une tromperie nous pouvons, ou pas, mettre en avant l’indulgence. Cela suppose une certaine bonté et elle peut conduire loin, jusqu’à la remise de dette, au pardon. Une attitude du cœur. A l’opposé, le risque de l’indulgence est de devenir faiblesse, complaisance à l’égard du mal, jusqu’à le taire. La frontière entre indulgence et complaisance ne va pas de soi, il s’y joue en quelque sorte un pari sur la possibilité d’un chemin de vérité.
L’indulgence dans le Nouveau Testament
L’indulgence, attitude de l’esprit et du cœur, est présente dans l’Évangile. L’expression la plus forte se trouve dans une parole de Jésus en croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Cette parole révèle l’indulgence incarnée dans la personne du Christ. Il ne dit pas « ils n’ont pas péché » ni « pardonne-leur, ce n’est pas si grave », mais il leur attribue une circonstance atténuante : leur ignorance, ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils font (cf. 1Co 2,8 et Ac 3,17).
En 1Jn 2,1 le Christ est désigné comme « avocat », en référence à celui dont la tâche envers le coupable est de trouver des circonstances atténuantes : « si quelqu’un vient à pécher nous avons comme avocat (paraclétos) auprès du Père Jésus le Juste ». Paraclétos vient de la racine paracaleo, supplier. L’avocat est aussi celui qui supplie.
Cette fonction du Christ est à rapprocher de son intercession en Rom 8,34 : « Qui donc condamnera ? Le Christ Jésus, celui qui est mort, que dis-je ? Ressuscité, qui est à la droite de Dieu, qui intercède pour nous ! ».
Pour nous aujourd’hui
Accueillir l’indulgence du Jubilé, c’est donc reconnaître que Quelqu’un est indulgent à mon égard, se fait mon avocat, intercède pour moi devant Dieu ; c’est lui le Christ qui me présente à Dieu (je pense ici à l’icône du Christ tenant par l’épaule l’abbé Ména). Et c’est reconnaître, du même coup, mon ignorance, mon inconscience quant à mon péché et à sa gravité.
L’assurance de la miséricorde dans le sacrement de réconciliation nous conduit à l’aveu des péchés dont nous avons conscience et au repentir ; de manière un peu plus fondamentale l’assurance de l’indulgence nous conduit à l’humilité, inconscients de notre péché, de sa gravité, et nous convoque à nous présenter « les mains vides » selon l’expression de Thérèse de Lisieux. Finalement dans la proposition de l’indulgence il s’agit avant tout d’entendre un appel, et non la promo d’un pardon bon marché comme si le Jubilé était un « black friday » !
Ainsi peut se comprendre aujourd’hui l’indulgence du Jubilé. Elle nous invite à une remise de soi, inscrite dans la démarche de pèlerinage ou le franchissement d’une porte d’une église jubilaire. Quitter, marcher, franchir une porte, se présenter à Dieu autrement, il ne s’agit pas tant de faire quelque chose que de se déplacer intérieurement. A chacun de discerner le chemin à emprunter, les mains vides.
Peut-être n’avons-nous jamais fini de faire la vérité ? L’indulgence du Christ nous fait cheminer avec assurance.
Sr. Anne-Thom Brunet